Abécédaire

 

 
Bulbe n° 2
 
 


Boris Verberk

21/10/2017

 

Comme la racine ou le rhizome, le bulbe ne se laisse pas facilement classé au rang des végétaux. Il manque de placidité, fourbit ses plants en sous-sol, bref, il est un peu suspect. Certes, il lui arrive de produire de belles plantes. Mais quand je vois la fleur de l’ail, solitaire et violette, qui éclot en tous sens, je ne pense plus du tout à la gousse que je mettrai pourtant volontiers dans mes plats, et moins encore au fait qu’elle vient de sous la terre. Il y a là comme une affaire de blanchiment d’argent. Derrière la belle devanture fleurie de la tulipe, doit se tramer une sombre affaire : toute une économie souterraine dont il faudrait se méfier.

D’ailleurs, d’où lui vient cette énergie étrange qui la fait sortir de sa planque après chaque hiver ? Quand la saison tourne au gris, le bulbe, lui, se met au vert, sous terre, et ne revient qu’après les tempêtes. Il remballe prestement ses affaires, sa beauté de façade, et retourne d’où il vient. Les plus désespérés iront le chercher dans la terre gelée pour en faire une soupe à l’oignon et chasser le froid. Prenez garde : la jonquille est revancharde, et devient toxique si on essaie de remonter sa filière.

Mais lui fais-je vraiment justice ? Le bulbe est de l’espèce des surprises. De bonnes surprises, pas de malheureux imprévus. Comme un cadeau d’anniversaire qui revient toujours à la même date, enrobé dans des couches et des couches de papier, avec un joli nœud sur une tige pour les plus coquets.

Le bulbe est un entêté qui ne lâche pas le morceau, un solitaire qui bute sans cesse au même problème. Il n’essaiera pas de la jouer collectif comme le rhizome, ou de persister continuellement comme la racine. Il se répète et se défait toujours : floraison, puis déception, et, exactement au même endroit, de la même façon, une nouvelle tentative.

Peut-être convient-il de se méfier des têtus. Mais tout de même, quel courage ! Et quelle joie quand les premiers perce-neiges bravent les rigueurs de février pour prophétiser le printemps. C’est pourtant les hirondelles qui leur volent le mérite. Certains accusent même le bulbe de narcisse de ne donner une fleur que pour son plaisir. Cet original n’aurait que faire des restrictions qu’impose l’austérité hivernale, il se promène la fleur à la boutonnière alors qu’on a pourtant dit et répété de ne pas se découvrir d’un fil. Et il ne fait pas long feu – peut-être un peu triste de ne pas avoir été reçu à la hauteur de ses prétentions.

Qu’on n’aille pas fleurir sa tombe ! Le bulbe rejouera son entrée, encore et toujours avec les mêmes maladresses, la même tige longue et fine qu’un rien ne casse et qui ploie sous le simple poids de sa fleur, qui devient bossue en perçant le givre. Le bulbe, lui, ne bouge pas. Il est attaché à son lieu, est persuadé qu’il arrivera à en faire quelque chose, sans peut-être savoir quoi. Les grands migrateurs ont plus de succès auprès des foules, ce sont eux qui font le printemps. Mais la fidélité du bulbe, même si elle est vaine et suspecte dans son obsession, même si l’on peine à croire qu’il se donne simplement, est pour moi la plus belle promesse de l’année.

   

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