Abécédaire

 

 

Ébriété




Eva Avian

17/12/2016

 

Moins noble que l’ivresse, plus digne que l’ivrogne, l’ébriété a l’écoute flottante et les réponses qui fusent, la main rapide mais peu précise. Après si peu d’alcool, en laisser paraître davantage serait ridicule ; on n’est pas ivre à si peu de frais. Je me redresse, fronce un sourcil et souris à propos, menton haut comme une digue.

On n’apprendra rien ici de l’ébriété virile des fortes constitutions, celle des héros de Sautet, d’un Depardieu boxeur, toujours une clope aux lèvres et un verre à la main comme du petit lait. On me dit : c’était comme ça, à l’époque, et j’envie cette sociabilité d’hommes. Un autre viendra décrire ce délassement mesuré, l’entrebâillement de quelques portes, le verre qui laisse tel qu’en soi-même.

L’ébriété dont il est question n’est pas un auxiliaire à refaire le monde, un remontant ni une friandise : elle est accordée de surcroît, toujours en excès. Elle vient promettre davantage et offre peu, trop peu souvent. À votre santé, à notre amitié, à la fête, l’ébriété répond : « je veux plus. » Il faudrait, pour ne plus en être la dupe, l’aimer pour elle-même ou lui ménager un espace sans déception.

Le plus souvent, elle vient plaider la cause d’envies minuscules. Plus de tabac, de quiche, plus vite – de lèvres, de mains et qu’on danse. C’est quand elle fait son propre article qu’elle dévoile la dernière et la plus pauvre de ses exigences : « encore ». La permanence de son état, le verre sans soif et à la hâte pour ne pas qu’elle retombe, et moi avec.

Même gaie, elle m’allume et me reconduit chez moi sans ménagements. Non, je ne suis pas ivre. Simplement, plus présente et moins attentive, curieuse, plus oublieuse aussi, avide et plus incertaine de l’objet de mon désir.

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