Abécédaire

 

 

Cavalcade




Boris Verberk

22/10/2016


 

On l’entend avant de la voir, puis pour un instant on ne voit plus qu’elle. Elle tonne, tambourine, sonne un glas aux multiples échos. La cavalcade sait se faire annoncer. Fanfare de sabots, puissante et déchainée, elle ne s’arrêtera pas, tout juste disparaîtra-t-elle. Que ce soit une chasse sauvage, des cavaliers d’apocalypse, une compagnie de dragons, ou trois jeunes gens dévalant la Grande Galerie du Louvre, la cavalcade est une affaire de bande à part. Aucun vigile ne parvient à la retenir, elle déborde les lignes, la course insensée passe entre les mailles du filet.

En déboulant, elle fait entorse à l’ordre établi. Une bravade, une offense, toutes les qualités du cavalier sans gêne qui se présente « à la hussarde ». Peut-être une audace ? En tous les cas, certainement pas une provocation ! Elle est bien plus innocente, bien plus spontanée, elle ne cherche pas de réaction, juste sa propre jubilation. Bien sûr, elle a ses crises. Combien de terres brûlées, de piétinés par cette chevauchée ? Fabrice chez Stendhal garde le souvenir d’avoir vu le feu, les moustaches jaunes et les habits rouges.

J’apprends que la cavalcade n’est pas que cette aventure épique. Elle a aussi fort affaire avec les carnavals où des cavaliers offrent là aussi un bruyant défilé. Comment s’en étonner ? Il y a toujours du carnaval dans la cavalcade. Cette manière de se mettre en scène face aux règles, de se donner le droit de les piétiner, de les renverser. Mais à la cavalcade reste le privilège de la surprise. Elle n’attend aucun jour, frappe sans attendre, cherche à désarçonner. C’est part de son plaisir.

As-tu déjà couru dans la rue ? Pas pour attraper le bus ou rendre une écharpe, mais comme dernier recours pour s’exprimer. Sur le Sébasto, un après-midi ensoleillé, amoureux, après trois phrases incongrues échangées à propos d’un livre avec un passant; la cavalcade comme une réponse à ce moment où les choses débordent, où une goutte s’avère par hasard être celle de trop. Il y a eu une rupture, et qu’importe qu’elle soit dans les lignes adverses ou dans les digues de la joie, on s’y engouffre sans penser à mal. Juste pour vivre un peu plus, un peu plus bruyamment.

Cet élan enivrant ne s’arrête pas. Il continue sans nous, nous dépasse comme le vent – sans doute pour le meilleur. On redevient piéton, on peine à reprendre son souffle, l’air de rien, sans laisser de trace. C’est cette innocence qui donne une allure enfantine à laquelle aucune haute herbe ne résiste. C’est elle aussi qui fait que derrière sa chevauchée on laisse l’herbe repousser.