Abécédaire

 

 
Sexe
 
 


Gilbert Cabasso

28/05/2016

 

Toute chose se distribue selon son sexe : lune et soleil, fleuve et montagne, mer et océan… Deux sexes se partagent le monde, et l’un suppose l’autre. Entre les deux, l’inqualifiable neutralité. Y aurait-il plus universelle, plus décisive différence qu’entre le masculin et le féminin ?

   Le mot embrasse une telle variété de sens selon son déterminant qu’on n’échappe pas au trouble qu’il engendre. Le sexe m’assigne une place, un rôle, une fonction, des qualités, une part irréductible de mon identité déclinée sur mes papiers officiels : nom, prénom, sexe… Me voilà engagé, selon sa nature, à me déterminer comme homme ou femme, à me désigner, à me distinguer. Le sexe classe et mon sexe me singularise : corps organique, défini par ce qui me différencie. Mon sexe se manifeste et se dérobe, se travestit, donne à penser, à deviner, à supposer l’objet changeant de mon désir. Et que désire-t-il donc, sinon le sexe de l’autre, ou l’autre sexe ? S’étonne-t-on encore de cela, qui ne va jamais de soi, dans l’intimité des corps-à-corps, d’avoir un sexe et de désirer l’autre ou le même ? Voilà, à présent, que la maîtrise technique voudrait qu’on puisse en changer à volonté, selon l’ordre de ses désirs. Et elle y réussit !

   Entre mon sexe et moi, plus qu’une identité stable et assignable, un jeu trouble qu’on baptisera genre. Dans sa confusion, aléas et renversements, multiplicités complices ou conflictuelles. La révolution sexuelle a fait craquer dans nos contrées les carcans de nos censures ancestrales. Mais rien n’est jamais acquis, ni dans la chose ni dans les mots. L’écriture du sexe agit sur soi et les autres, accroît le trouble. Le nommer parfois suffit. On en rougit encore, on en frissonne. Ou plutôt, croit-on, on en frissonnait. Jadis, le sexe se lisait en enfer. Aujourd’hui, l’enfer est partout ! C’est bien pourquoi on pense en être sorti ! En kiosque, en librairie, en images, en séries, les confidences s’avouent ou sont contraintes de le faire publiquement, l’intimité et le sexe s’exhibent, et prétendent à leur libération, pour le meilleur de nos vies ! Le sexe se dit et se fait ! Je me souviens qu’enfant, lisant Prévert, je mettais, rougissant, mes parents à l’épreuve : « Pourquoi est-ce qu’il écrit faire l’amour et pas aimer ? » Silence embarrassé ! Aujourd’hui, une petite fille me raconte que son amoureux veut « faire sexe avec elle ».

   La joie d’aimer exige la rencontre, le partage de nos désirs et de nos corps. Pieuse tautologie, s’il est vrai, comme disent les prêtres de l’inconscient, qu’« il n’y a pas de rapport sexuel », chacun ne parlant pas vraiment, d’un sexe à l’autre, le même langage, et ne trouvant jouissance qu’à la fiction d’une complétude muette.

   Le réel du sexe ne se dit pas. Nous ne pouvons dire, au mieux que ce qui s’imagine de l’autre, et se pare de toutes les beautés du monde.

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