Abécédaire

 

 
Doxa
 
 


Lise Forment

21/11/2015

 

La doxa n’a pas bonne presse. Et ce n’est pas sans raison. Elle est souvent l’arme des « sans-culot », l’ennemie des audacieux ; elle masque parfois la bêtise la plus crasse (ou la sottise la plus légère) ; elle sent toujours le renfermé des opinions et laisse dans la bouche un goût ranci de bon sens.

Ex : La Doxa naturalise tout ce qu’elle touche, empoissé dans son discours (Barthes).

Elle a un cousin éloigné, qui sonne grec lui aussi (le topos), et toute une fratrie moins savante, assez peu fréquentable, vraiment pas recommandable : le cliché, le préjugé, le lieu commun, l’ordre établi, le conformisme, la bien-pensance, le système et le politiquement correct. La doxa ressemble aux anciens mythes, mais elle en est le rejeton dégénéré : en agrégeant dangereusement les individus, elle les capture dans le confort pernicieux de communautés aliénantes et excluantes.

Ex : Politiquement, la Doxa, qu’est-ce que c’est ? C’est l’idéologie que la classe dominante impose à la classe dominée (Barthes).

Qui donc souhaiterait se faire l’avocat du diable doxique ? Qui pourrait défendre un discours qui naturalise les idéologies et fait que leurs plus petits détails s’insinuent au plus profond de nos consciences prétendument critiques ?

Nul autre, sans doute – et paradoxalement –, que l’amateur de paradoxes. Contre la doxa sur la doxa, l’esprit paradoxal pourra dire la valeur du lieu et du lien communs, l’importance de l’autorité, le besoin de formes partagées, la nécessité de bien-penser, le désir d’une correction dans les mots et dans les mœurs, dans les relations sociales et dans le discours politique… Car la vie de la pensée est ainsi faite que la doxa peut revivre comme paradoxe, quand la critique du discours endoxal et de sa domination se mue en puissance et en poison doxiques. Mouvement perpétuel des renversements et des retournements.

Ex : une doxa (une opinion courante) est posée, insupportable ; pour m’en dégager, je postule un paradoxe ; puis ce paradoxe s’empoisse, devient lui-même concrétion nouvelle, nouvelle doxa, et il me faut aller plus loin vers un nouveau paradoxe. (Barthes)

Mais peut-on se satisfaire de ces tours de passe-passe ? On aimerait sortir de ces cercles, dichotomies, amphibologies et autre dialectiques qui épuisent nos énergies. On aimerait pouvoir situer nos valeurs hors doxa, sans paradoxe. Où aller ?